Partir à la découverte de venise

Venise, joyau de la lagune adriatique, fascine par son histoire millénaire et son architecture unique au monde. Ville-musée à ciel ouvert, la Sérénissime flotte entre ciel et mer depuis plus de quinze siècles, défiant le temps et les éléments. Ses 118 îles reliées par plus de 400 ponts créent un labyrinthe aquatique où chaque détour révèle un nouveau trésor architectural. Capitale d'une république maritime qui fut l'une des plus grandes puissances méditerranéennes, Venise conserve les traces de sa splendeur passée dans chaque pierre de ses palais, dans chaque mosaïque de ses églises. Au-delà des itinéraires touristiques classiques, la cité des Doges dévoile ses quartiers authentiques, son artisanat séculaire et une gastronomie singulière qui témoignent d'un art de vivre vénitien toujours vivant. Découvrir Venise, c'est s'immerger dans un monde où l'histoire se lit à chaque pas, où l'art transpire des façades, et où la magie opère au fil de l'eau.

L'héritage architectural de la sérénissime

L'architecture vénitienne résulte d'un mélange unique d'influences orientales et occidentales, fruit de la position stratégique de la ville comme carrefour commercial entre l'Europe et l'Orient. Ce patrimoine bâti exceptionnel témoigne de la puissance économique et politique de la République de Venise qui régna pendant plus de mille ans sur la Méditerranée. Les bâtiments vénitiens reposent sur un système ingénieux de fondations en bois d'aulne, particulièrement résistant à l'eau, sur lequel sont posées des plateformes en pierre d'Istrie, matériau imperméable qui protège les structures de l'humidité permanente.

L'évolution stylistique de l'architecture vénitienne reflète les différentes périodes de son histoire, depuis le byzantin importé de Constantinople jusqu'au baroque du XVIIe siècle, en passant par le gothique vénitien et la Renaissance. Cette richesse architecturale s'observe particulièrement dans les édifices religieux, les palais patriciens et les bâtiments publics qui jalonnent la ville. Chaque quartier possède ses propres trésors architecturaux, formant un ensemble cohérent malgré la diversité des styles et des époques.

La place Saint-Marc et sa basilique byzantine

Surnommée "le salon de l'Europe" par Napoléon, la Place Saint-Marc constitue le cœur politique et religieux de Venise depuis la fondation de la cité. Cette vaste esplanade de 170 mètres sur 80 est bordée par les Procuraties, anciens bureaux des procurateurs de Saint-Marc, et dominée par le Campanile, tour de guet reconstruite à l'identique après son effondrement en 1902. La place s'ouvre sur la lagune par la Piazzetta et ses deux colonnes emblématiques portant les symboles de Venise : le lion ailé de Saint-Marc et Saint-Théodore terrassant un crocodile.

La basilique Saint-Marc représente le joyau byzantin de Venise. Construite au IXe siècle pour abriter les reliques de l'évangéliste Marc, patron de la ville, elle fut plusieurs fois reconstruite et embellie au fil des siècles. Sa façade à cinq portails, surmontée de coupoles, est ornée de mosaïques dorées et de sculptures rapportées des conquêtes vénitiennes en Orient. L'intérieur, resplendissant de 8000 m² de mosaïques dorées, traduit la volonté de Venise de se présenter comme l'héritière de Byzance après la chute de Constantinople.

La basilique Saint-Marc n'est pas seulement un lieu de culte, mais un manifeste politique qui affirme la légitimité et la grandeur de Venise à travers une esthétique délibérément orientalisante.

Le palais des doges et l'architecture gothique vénitienne

Chef-d'œuvre du gothique vénitien, le Palais des Doges symbolise la puissance de la République maritime. Siège du pouvoir politique, il abritait les appartements du doge, les salles du Grand Conseil et du Sénat, ainsi que les tribunaux. Sa façade en marbre rose et blanc forme un dentelle de pierre où s'entrelacent arcs brisés, quadrilobes et colonnettes. La loggia du premier étage, avec ses grandes fenêtres ogivales, semble défier les lois de la pesanteur, reposant sur une galerie d'arcades plus fine encore.

L'architecture gothique vénitienne, dont le Palais des Doges constitue l'exemple le plus accompli, se distingue par sa légèreté et son élégance. Contrairement au gothique septentrional qui s'élance vers le ciel, le style vénitien privilégie l'horizontalité et la luminosité. Les façades des palais gothiques vénitiens comme la Ca' Foscari ou la Ca' d'Oro s'organisent symétriquement autour d'une loggia centrale, élément caractéristique qui permet à la lumière de pénétrer généreusement à l'intérieur des bâtiments tout en offrant une vue imprenable sur les canaux.

Les églises de palladio: san giorgio maggiore et il redentore

Andrea Palladio (1508-1580) a profondément marqué l'architecture vénitienne de la Renaissance tardive. Ses églises vénitiennes témoignent d'une parfaite maîtrise des proportions et d'une relecture innovante des modèles antiques. San Giorgio Maggiore, située sur l'île du même nom face à la place Saint-Marc, présente une façade en marbre blanc qui se reflète dans les eaux de la lagune. Sa structure combine avec audace un fronton triangulaire classique et deux demi-frontons superposés, solution ingénieuse pour harmoniser les différentes hauteurs de la nef et des bas-côtés.

L'église du Rédempteur (Il Redentore), sur l'île de la Giudecca, fut commandée par le Sénat vénitien en 1576 pour commémorer la fin d'une terrible épidémie de peste. Sa façade monumentale, d'une blancheur éclatante, s'inspire des temples romains avec son grand fronton triangulaire porté par des demi-colonnes. L'intérieur, d'une luminosité exceptionnelle, illustre la recherche palladienne d'espaces parfaitement proportionnés et hiérarchisés. Chaque année en juillet, la Festa del Redentore célèbre cette église par une procession sur un pont de bateaux temporairement installé à travers le canal de la Giudecca.

Le pont du rialto et l'ingénierie renaissance

Le Pont du Rialto constitue un véritable tour de force architectural de la Renaissance vénitienne. Construit entre 1588 et 1591 par Antonio da Ponte, il remplace les ponts en bois qui s'étaient succédé à cet emplacement stratégique du Grand Canal depuis le XIIe siècle. Son arche unique de 28 mètres d'ouverture, suffisamment haute pour permettre le passage des navires à voiles, repose sur 12 000 pilotis en bois d'orme enfoncés dans le sol meuble de la lagune.

La structure du Rialto est entièrement réalisée en pierre d'Istrie, matériau calcaire imperméable qui résiste parfaitement à l'humidité et à l'eau salée. L'originalité de ce pont réside dans sa conception comme espace commercial : deux rangées de boutiques bordent le passage central, générant des revenus locatifs pour la République tout en renforçant la vocation marchande du quartier. Les balustrades latérales s'ouvrent par trois passages qui offrent des vues spectaculaires sur le Grand Canal et les palais qui le bordent.

Ca' d'oro et les palais du grand canal

La Ca' d'Oro (Maison d'Or) représente l'apogée du gothique flamboyant vénitien. Construite entre 1428 et 1430 pour la famille Contarini, elle doit son nom à la dorure qui rehaussait autrefois les éléments décoratifs de sa façade polychrome. Cette dernière se développe asymétriquement avec une loggia à étages décalés, créant un effet de légèreté renforcé par la dentelle de pierre des fenêtres polylobées. La façade formait à l'origine un véritable tableau architectural où s'harmonisaient marbre blanc et rose, dorures et pigments bleus.

Le Grand Canal, artère principale de Venise, est bordé de plus de 200 palais édifiés entre le XIIIe et le XVIIIe siècle. Ces palazzi présentent une structure caractéristique adaptée aux contraintes du site et aux besoins des familles patriciennes. Le plan typique s'organise autour d'un atrium central donnant sur un portego, vaste salle de réception traversante qui relie la façade sur le canal à l'entrée terrestre. Les étages nobles sont signalés en façade par des loggias plus ornementées, tandis que le rez-de-chaussée, souvent inondé, était réservé au stockage des marchandises.

Venise et ses quartiers authentiques

Au-delà des sites emblématiques qui attirent des millions de visiteurs chaque année, Venise révèle sa véritable âme dans ses quartiers résidentiels. La ville est divisée administrativement en six sestieri (sixièmes) : San Marco, Castello, Cannaregio, Santa Croce, San Polo et Dorsoduro. Chacun possède son caractère propre, son histoire et ses trésors souvent méconnus. Ces quartiers, moins fréquentés que l'axe touristique principal reliant la gare à la place Saint-Marc, offrent une immersion authentique dans la vie vénitienne contemporaine.

Les campi (places) constituent le cœur de la vie sociale de chaque quartier. Contrairement aux calli (ruelles) étroites et souvent ombragées, ces espaces ouverts accueillent les marchés, les terrasses de cafés et les jeux des enfants. Chaque campo est généralement doté d'une église paroissiale, d'un puits central qui servait autrefois à l'approvisionnement en eau douce, et de petits commerces de proximité qui maintiennent la vie locale. Explorer ces quartiers à pied permet de découvrir une Venise plus intime, rythmée par les habitudes de ses 50 000 habitants permanents.

Cannaregio et le ghetto juif historique

Cannaregio, secteur nord-ouest de Venise, est le quartier le plus peuplé de la ville et conserve une atmosphère résolument locale. Traversé par le canal de Cannaregio, il s'articule autour de la Strada Nova, artère commerçante animée qui relie la gare ferroviaire à Rialto. En s'écartant de cet axe principal, on découvre des zones résidentielles tranquilles où le linge sèche encore aux fenêtres et où les habitants se retrouvent dans les bacari, bars typiques où l'on déguste des cicchetti (tapas vénitiennes) accompagnés d'un verre de vin local.

Le Ghetto de Venise, situé au cœur de Cannaregio, fut le premier quartier juif institutionnalisé d'Europe, créé par décret en 1516. Le terme "ghetto" dérive d'ailleurs du vénitien "geto" (fonderie), activité exercée auparavant sur ce site. Entouré d'eau et accessible uniquement par deux ponts qui étaient fermés la nuit, ce petit espace contraignit la communauté juive à développer une architecture verticale unique, avec des immeubles atteignant jusqu'à sept étages quand le reste de Venise n'en comptait que trois ou quatre. Aujourd'hui, cinq synagogues historiques témoignent de la diversité des rites pratiqués (allemand, italien, espagnol, levantin et canton) au sein de cette communauté cosmopolite.

Dorsoduro et la gallerie dell'accademia

Le sestiere de Dorsoduro occupe la partie sud-ouest de Venise, sur un terrain légèrement plus élevé (dorso duro signifie "dos dur" en italien) et donc moins sujet aux inondations. Ce quartier abrite l'université Ca' Foscari et attire une population étudiante qui anime ses places et ses cafés. La Fondation Peggy Guggenheim, installée dans le palais inachevé Venier dei Leoni sur le Grand Canal, présente une remarquable collection d'art moderne dans un cadre intimiste, contrastant avec l'art classique exposé à quelques pas dans les musées traditionnels.

La Gallerie dell'Accademia constitue le principal musée de peinture vénitienne, offrant un panorama complet de l'évolution artistique locale du XIVe au XVIIIe siècle. Installée dans l'ancien complexe de la Scuola della Carità, elle présente les chefs-d'œuvre des plus grands maîtres vénitiens : Giovanni Bellini, Giorgione, Titien, Tintoret, Véronèse et Tiepolo. Parmi les œuvres emblématiques figure "La Tempête" de Giorgione, tableau énigmatique considéré comme l'un des premiers paysages de l'histoire de l'art occidental. La richesse chromatique et la maîtrise de la lumière caractéristiques de l'école vénitienne s'expriment pleinement dans ces collections exceptionnelles.

Castello et l'arsenal naval

Castello, le plus vaste des six sestieri, s'étend à l'est de la place Saint-Marc jusqu'aux confins orientaux de la ville. Sa partie occidentale, proche du centre touristique, abrite des monuments majeurs comme la basilique Saints-Jean-et-Paul, panthéon des doges, et l'église Saint-François-de-la-Vigne conçue par Palladio. En s'éloignant vers l'est, le quartier devient plus résidentiel et populaire, notamment autour de la Via Garibaldi, large artère créée en comblant un canal sous Napoléon, qui tranche avec le lacis habituel des ruelles vénitiennes.

L'Arsenal de Venise représente un témoignage exceptionnel de l'organisation industrielle pré-moderne. Fondé au XIIe siècle et considérablement agrandi au XVIe, ce chantier naval fortifié constituait le cœur de la puissance maritime vénitienne. À son apogée, il employait jusqu'à 16 000 arsenalotti (ouvriers spécialisés) capables de produire une galère complète en une seule journée grâce à un système de chaî

ne de montage préfigurant l'industrie moderne. L'entrée monumentale, la Porta Magna, ornée de sculptures en marbre et de lions, symbolise la puissance navale de la Sérénissime. Aujourd'hui, l'Arsenal accueille certains pavillons de la Biennale d'art contemporain et le Musée naval qui retrace l'histoire maritime vénitienne à travers maquettes, armes et instruments de navigation.

San polo et ses marchés traditionnels

San Polo, le plus petit des sestieri, s'articule autour de l'imposant Campo San Polo, deuxième plus grande place de Venise après Saint-Marc. Ce quartier historiquement commerçant conserve une ambiance animée, particulièrement autour du marché du Rialto. L'église San Giacomo di Rialto, considérée comme l'une des plus anciennes de la ville, marque le centre de ce qui fut pendant des siècles le cœur économique de Venise, où marchands locaux et étrangers négociaient épices, soieries et pierres précieuses sous le contrôle strict des magistratures vénitiennes.

Le marché du Rialto, en activité depuis plus de mille ans, demeure un lieu emblématique de la vie quotidienne vénitienne. La Pescheria (halle aux poissons), reconnaissable à sa loggia néo-gothique, propose chaque matin sauf le dimanche une impressionnante variété de produits frais de la lagune et de l'Adriatique : seiches, sardines, crevettes grises et le célèbre moeche, petit crabe tendre pêché exclusivement dans les eaux vénitiennes. À proximité, l'Erbaria accueille les étals de fruits et légumes, souvent provenant des îles maraîchères de la lagune comme Sant'Erasmo, réputée pour ses artichauts violets particulièrement tendres.

La navigation vénitienne: canaux et embarcations

Le réseau hydrographique de Venise comprend environ 150 canaux qui forment un système circulatoire complexe, indispensable à la survie de la cité lagunaire. Ces voies d'eau se hiérarchisent en trois catégories : le Grand Canal et le Canal de la Giudecca, artères principales larges et profondes; les canaux secondaires (rii) qui desservent les quartiers; et les petits canaux (rielli) qui irriguent les zones résidentielles. Cette infrastructure aquatique nécessite un entretien constant pour lutter contre l'envasement naturel et préserver la navigabilité.

La circulation sur ces canaux obéit à des règles strictes héritées de siècles de pratique maritime. Les embarcations vénitiennes, spécifiquement conçues pour s'adapter aux particularités de la lagune, témoignent d'un savoir-faire nautique exceptionnel développé au fil des siècles. Les différents types de bateaux traditionnels - gondoles, sandoli, mascarete, topi - répondent chacun à des usages précis, qu'il s'agisse du transport de personnes, de marchandises ou de la pêche. Bien que désormais motorisées pour la plupart, ces embarcations conservent des formes héritées de la tradition, parfaitement adaptées à la navigation en eaux peu profondes.

Le grand canal et ses vaporetti

Le Grand Canal, colonne vertébrale de Venise, serpente sur près de 4 kilomètres en formant un S majestueux qui partage la ville en deux. Large de 30 à 70 mètres, il constitue la principale voie de circulation, bordée par plus de 200 palais dont les façades colorées se reflètent dans ses eaux. Autrefois emprunté par les embarcations d'apparat des grandes familles patriciennes, il est aujourd'hui sillonné principalement par les vaporetti, ces bateaux-bus qui assurent le transport public vénitien.

Les vaporetti, littéralement "petits vapeurs", apparurent à Venise en 1881 pour moderniser les transports lagunaires. Ces bateaux à moteur diesel, gérés par la compagnie ACTV, ont remplacé les bateaux à vapeur d'origine mais ont conservé leur nom traditionnel. La ligne 1, qui parcourt l'intégralité du Grand Canal en s'arrêtant à chaque station, offre un parcours touristique incomparable permettant d'admirer les plus beaux palais vénitiens. La ligne 2, plus rapide car ne desservant que les arrêts principaux, est davantage utilisée par les Vénitiens pour leurs déplacements quotidiens.

Le vaporetto constitue pour le visiteur bien plus qu'un simple moyen de transport: c'est une véritable attraction touristique flottante qui offre les plus belles perspectives sur la ville des Doges.

Gondoles vénitiennes: techniques de navigation et traditions

Symbole par excellence de Venise, la gondole représente un chef-d'œuvre d'ingénierie nautique perfectionné au fil des siècles. Longue de 10,87 mètres exactement et pesant environ 500 kg, cette embarcation asymétrique présente un flanc gauche plus long de 24 centimètres que le droit. Cette asymétrie, loin d'être un défaut, permet au gondolier de compenser la poussée exercée par la rame et de maintenir une trajectoire droite malgré l'utilisation d'une seule pagaie sur le côté droit. Sa construction fait appel à huit essences de bois différentes pour ses 280 pièces assemblées selon des techniques transmises de génération en génération.

L'art du gondolier va bien au-delà de la simple propulsion d'une embarcation. Ce métier, traditionnellement transmis de père en fils, requiert un apprentissage de plusieurs années pour maîtriser les techniques de navigation spécifiques aux canaux vénitiens. La "voga alla veneta", rame debout face à l'avant, exige un équilibre parfait et une connaissance intime des courants et du réseau hydrographique. Les gondoliers, regroupés en corporation depuis 1094, restent limités à 433 licences. Leur uniforme caractéristique - pantalon noir, marinière rayée et chapeau de paille orné d'un ruban coloré - est devenu emblématique du paysage vénitien. La proue métallique de la gondole, le "ferro", présente six dents représentant les six sestieri de Venise, tandis que la courbe supérieure évoque le chapeau du doge.

Les traghetti et la traversée traditionnelle

Les traghetti constituent un service essentiel dans la vie quotidienne vénitienne. Ces grandes gondoles dépouillées de leurs ornements et capables d'accueillir jusqu'à dix passagers assurent la traversée du Grand Canal en plusieurs points stratégiques. Ils remplacent les ponts, au nombre limité de quatre sur toute la longueur du canal, et permettent aux piétons de gagner un temps précieux dans leurs déplacements. Actuellement, sept stations de traghetto demeurent en activité, bien moins que les dizaines qui existaient autrefois.

La particularité culturelle du traghetto réside dans la manière dont les Vénitiens l'utilisent : traditionnellement, les passagers locaux restent debout pendant la traversée, qui ne dure que quelques minutes, dans un équilibre parfait qui témoigne de leur habitude des déplacements sur l'eau. Cette pratique, moins suivie aujourd'hui par prudence et commodité, distinguait immédiatement le Vénitien du visiteur. Pour un tarif modique (généralement 2 euros), le traghetto offre une expérience authentique de navigation vénitienne, bien différente de la promenade touristique en gondole, et constitue un véritable service public utilisé quotidiennement par les habitants.

Le canal de la giudecca et le trafic maritime

Le Canal de la Giudecca, large bras d'eau séparant l'île éponyme du reste de Venise, constitue avec le Bassin de Saint-Marc la principale voie d'accès maritime à la ville. Plus large que le Grand Canal, il offre une profondeur suffisante pour accueillir des navires de plus grande taille. Historiquement, cette voie navigable a joué un rôle crucial pour le commerce maritime de la République, permettant aux galères marchandes d'accéder directement au cœur économique de la cité. Aujourd'hui, il est emprunté par les vaporetti, les bateaux de transport public, ainsi que par de nombreux bateaux de service et embarcations privées.

La question du trafic maritime à Venise soulève d'importants débats concernant la préservation du patrimoine et l'équilibre environnemental de la lagune. Jusqu'à récemment, les immenses navires de croisière empruntaient le Canal de la Giudecca, créant un contraste saisissant mais problématique avec le paysage urbain historique. Suite à de nombreuses protestations et au risque avéré pour les fondations des bâtiments, causé par le déplacement d'eau provoqué par ces géants des mers, l'Italie a interdit en 2021 l'accès des grands navires de croisière au centre historique. Désormais, ces bateaux doivent accoster au terminal industriel de Marghera, sur la terre ferme, préservant ainsi l'intégrité visuelle et structurelle de la ville historique.

Artisanat vénitien et savoir-faire millénaire

L'artisanat vénitien s'est développé au fil des siècles grâce au statut de la ville comme plaque tournante du commerce méditerranéen. Les artisans locaux ont su adapter et perfectionner des techniques importées d'Orient et d'Europe, créant des produits d'une qualité exceptionnelle qui ont contribué à la réputation et à la richesse de la Sérénissime. Ces savoir-faire ancestraux, organisés en corporations (Scuole) strictement réglementées, garantissaient l'excellence et la transmission des connaissances.

Aujourd'hui, malgré la pression touristique et la concurrence des produits industriels, de nombreux ateliers perpétuent ces traditions artisanales. Les véritables artisans vénitiens, reconnaissables au label "Venezia Autentica", travaillent selon des méthodes traditionnelles tout en innovant pour s'adapter aux goûts contemporains. Ces gardiens d'un patrimoine immatériel inestimable proposent des créations uniques qui contrastent avec les souvenirs standardisés vendus dans la majorité des boutiques touristiques.

Verrerie de murano et techniques du soufflage

L'art verrier de Murano représente l'un des fleurons de l'artisanat vénitien, reconnu dans le monde entier pour sa finesse et sa créativité. En 1291, un décret du Grand Conseil ordonna le transfert de toutes les verreries de Venise vers l'île de Murano, officiellement pour prévenir les incendies dans la ville densément peuplée, mais également pour mieux contrôler cette industrie stratégique et préserver ses secrets de fabrication. Les maîtres verriers étaient à la fois privilégiés – leurs filles pouvaient épouser des patriciens – et surveillés, avec interdiction de quitter le territoire de la République sous peine de mort.

La technique traditionnelle du soufflage de verre de Murano commence par la préparation du verre en fusion dans des fours à plus de 1400°C. Le maître verrier prélève une masse incandescente au bout de sa canne à souffler et lui donne forme par une combinaison de souffle, de rotations et de manipulations à l'aide de pincettes et de ciseaux spéciaux. Les secrets de coloration, transmis de génération en génération, permettent d'obtenir des teintes incomparables comme le bleu céleste, le rouge rubis ou le jaune d'or. Des techniques spécifiques comme le "millefiori" (mille fleurs), le "lattimo" (verre laiteux) ou le "sommerso" (superposition de couches colorées) témoignent de la virtuosité des artisans muranais. Aujourd'hui encore, une cinquantaine de fournaises perpétuent ce savoir-faire millénaire, créant aussi bien des objets utilitaires que des pièces d'art contemporain.

Dentelle de burano et motifs traditionnels

La dentelle à l'aiguille de Burano trouve ses origines au XVIe siècle, lorsque les femmes de cette île colorée de la lagune commencèrent à reproduire les motifs délicats rapportés d'Orient par les marchands vénitiens. Cette dentelle exceptionnellement fine, réalisée uniquement à l'aiguille sans support de fuseaux, se distingue par sa technique du "punto in aria" (point en l'air) qui permet de créer des motifs aériens d'une complexité extraordinaire. Contrairement à d'autres centres dentelliers européens, Burano développa un style reconnaissable à ses motifs floraux stylisés et ses compositions géométriques harmonieuses.

La réalisation d'une pièce de dentelle de Burano requiert une patience et une dextérité exceptionnelles. Un simple col peut nécessiter plusieurs mois de travail, chaque motif étant composé de milliers de points minuscules exécutés avec un fil si fin qu'il est presque invisible. La Scuola del Merletto, école de dentelle fondée en 1872 pour préserver cette tradition menacée d'extinction, continue d'enseigner les techniques ancestrales aux nouvelles générations. Le musée de la dentelle, installé dans l'ancien palais de l'école, expose des pièces historiques d'une finesse incomparable, témoignant de l'âge d'or de cet artisanat qui habillait les cours royales d'Europe. Aujourd'hui, quelques artisanes perpétuent ce savoir-faire unique, créant des pièces contemporaines inspirées des motifs traditionnels.

Masques du carnaval et ateliers artisanaux

Le masque vénitien, indissociable de l'histoire du Carnaval, représente bien plus qu'un simple accessoire festif. Dans la Venise des XVIe et XVIIe siècles, le port du masque était réglementé mais courant, permettant l'anonymat dans une cité où la promiscuité rendait difficile la préservation de la vie privée. Le masque traditionnel le plus emblématique, la "bauta", composé d'un masque blanc, d'un tricorne et d'une cape noire, permettait même de boire et de manger sans se dévoiler grâce à sa forme particulière. D'autres types classiques incluent le "moretta", masque ovale féminin maintenu par un bouton placé dans la bouche, le "médecin de la peste" reconnaissable à son long nez, ou le "volto" au visage blanc neutre.

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